Pour bien agir, il faut d’abord bien comprendre

Les inondations qui ont secoué le pays rappellent qu’il est urgent d’agir et de repenser notre rapport à l’eau.

Cela tombe bien : c’est la mission que Cera s’est assignée en créant la Brigade de l’Eau, plus indispensable que jamais. Chaque geste compte. C’est la somme de tous ces gestes qui fera bouger les choses.

Mais pour bien agir, nous devons d’abord bien comprendre. 
C’est pourquoi nous nous sommes entretenus avec Sébastien Doutreloup, climatologue à L’ULiège.

 

Comment expliquer ce qui nous est arrivé d’un point de vue météorologique ?

Sébastien Doutreloup : « Ces précipitations hors normes s’expliquent par la conjonction de plusieurs facteurs. Il y a d’abord eu deux masses d’air humide qui se sont rejointes. Celles-ci ont formé une perturbation pluvieuse devenue instable à cause de la fameuse goutte froide. La perturbation s’est enroulée autour de celle-ci. Résultat : la zone pluvieuse a stagné en tournant sur elle-même. L’IRM l’avait clairement identifiée dès le 13/07.

Un second facteur a aggravé la situation. Pendant plus de 50 heures, la façade Atlantique européenne a subi un blocage anticyclonique. Celui-ci a empêché les vents d’ouest d’évacuer rapidement les zones de perturbations vers l’est, comme c’est habituellement le cas chez nous.

Enfin, il ne faut pas oublier le rôle aggravant que peut jouer le relief. Les hauteurs du sud de la Belgique (et du plateau des Hautes Fagnes en particulier) obligent l’air à monter en altitude. Il s’y refroidit plus, se condense plus et se transforme en pluies plus abondantes qu’à basse altitude. Si les Hautes-Fagnes s’étaient trouvées à même hauteur que Liège, la quantité de précipitations aurait été réduite de presque la moitié ! » 

Les modèles prévisionnels ont-ils été efficaces ?

S.D. : « Oui. Il faut savoir que les innovations technologiques font progresser les modèles prévisionnels à vitesse vertigineuse. En l’occurrence, les modèles (couplés aux observations in situ) indiquaient clairement dès le 12/07 l’apparition de phénomènes météo synonymes d’importantes perturbations les jours suivants. Raison pour laquelle l’IRM a décrété des phases de pré-alerte puis d’alerte. 

Dans notre pays, 3 institutions gèrent la situation d’un point de vue météo : l’IRM (Institut Royal Météorologique), la Défense et Skeyes (ex-Belgocontrol, régie des voies aériennes). Elles comparent chaque jour leurs différents modèles, ce qui permet d’affiner les prévisions. Évidemment, le bulletin météo ne peut jamais prédire avec 100% de certitude le temps qu’il fera à l’endroit où vous vous trouvez. Mais les données sont de plus en plus précises. »

Doit-on s’attendre à revivre pareille catastrophe ?

S.D. : « C’est LA question que tout le monde se pose, en établissant un rapport entre ces séquences de crue (ou de sécheresse) à répétition et le réchauffement climatique ! En guise de préalable, il importe de rappeler qu’on ne peut pas actuellement établir de lien direct entre ces inondations et le réchauffement climatique. Ce lien exige une analyse sur la durée basée sur la fréquence à laquelle ces phénomènes se (re)produisent. Il faudra du temps et beaucoup d’observations avant d’établir une causalité claire et nette. Même si certains indices laissent à penser qu’en effet, le réchauffement de la planète a joué un rôle.

Notre laboratoire de climatologie collabore au prochain rapport du GIEC. On peut déjà affirmer qu’il prévoira des hivers plus humides et des étés plus secs, le tout ponctué d’événements inédits qui se répéteront plus souvent. Le dernier épisode pluviométrique semblable à celui que nous venons de vivre date de 200 ans. Il ne faudra pas attendre ce laps de temps avant le prochain... 
Quant aux canicules, elles touchent régulièrement la Belgique depuis quelques années déjà.

Pourquoi tous ces bouleversements ? Une des hypothèses d’explication les plus probables est que la circulation atmosphérique de l’Europe change. Le sens zonal ouest-est, très majoritaire jusqu’en 2015, cède clairement la place au sens méridional nord-sud ou sud-nord. L’orientation O-E s’expliquait par la différence de température entre le pôle et l’équateur. Nos observations actuelles révèlent que le pôle se réchauffe plus vite que l’équateur. Leur différence de température diminue donc, tout comme le flux O-E. Les pluies (en provenance du nord) et les sécheresses et canicules (en provenance du sud) stagnent donc plus longtemps sur notre territoire, avec les conséquences qu’on connaît. »

Selon vous, comment peut-on agir ?

S.D. : « Le fatalisme n’est pas une solution. Qui que nous soyons, nous avons un rôle à jouer. J’ai la conviction qu’on peut agir à court, moyen et long terme.

Il faudrait dans un premier temps améliorer le système BE-Alert qui permet de diffuser un message à la population en cas d’urgence. Personnellement, j’ai reçu un SMS en allemand alors que j’étais les pieds dans l’eau sur le terrain, en pleine interview... L’outil est potentiellement très utile mais la chaîne de transmission a montré ses limites. 

Nous devrions également adapter l’aménagement du territoire au nouveau contexte météo. Tout le monde sait qu’il existe des zones inondables. Ne pas autoriser de nouvelles constructions là où c’est dangereux, modifier le bâti existant (pas de pièces de vie au rez-de-chaussée, pilotis, etc.), retrouver des espaces naturels qui jouent leur rôle d’absorption, mieux intégrer villes & campagnes, désimperméabiliser les sols... Les chantiers sont nombreux.

Last but not least, le réchauffement progressif de la planète doit cesser. Petite leçon de physique pour bien comprendre : plus l’air est chaud, plus il se dilate et peut accueillir de l’humidité. Chaque augmentation d’un degré Celsius augmente la teneur en eau de 7%. Si toute cette eau monte en altitude et se condense, cela risque de provoquer d’autant plus de précipitations. »

Quel message aimeriez-vous faire passer ?

S.D. : « Arrêtons de croire qu’on peut contrôler la nature. Vivons plutôt avec elle, apprenons à mieux la connaître, à mieux collaborer avec elle, à mieux la respecter. Posons-nous les bonnes questions, que ce soit en termes de pratiques agricoles ou d’aménagement du territoire. Je suis convaincu que les défis climatiques qui nous attendent pourront être relevés grâce à des approches diversifiées et avant tout citoyennes. Toute initiative est la bienvenue. Bravo la Brigade de l’Eau ! »

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